La voiture tue…

La publicité pour les automobiles est omniprésente dans nos sociétés. Les constructeurs y font leur propagande, en occultant avec grand soin les dangers que leurs produits représentent pour l’environnement, la santé et l’intégrité physique des personnes. Ils n’hésitent pas à mentir ou tricher quand il s’agit de les minimiser, comme le dieselgate en a apporté la triste preuve. Ce faisant, les constructeurs créent un imaginaire qui participe grandement et très efficacement à faire perdurer la culture de l’automobile dans nos sociétés. Et la grand-messe du secteur en Belgique, le Salon annuel, est l’occasion de mettre les bouchées doubles. Il ouvre ses portes au public ce vendredi 12.

Comme le souligne très justement Pierre Lannoy, sociologue à l’ULB : « Il n’y a pas 5,7 millions de voitures en Belgique, mais 100 ou 1.000 fois plus : des murs des villes jusqu’à nos salons, elles sont partout » [1]. Cette omniprésence des voitures dans notre quotidien contribue à rendre difficile (pour ne pas dire impossible) la mise en place d’un système de mobilité réellement durable. Surexploitation de ressources non renouvelables, émissions de gaz à effet de serre, émissions sonores (plus de 200 décès par an en Belgique), pollution de l’air (plus de 2.300 décès par an), tués et blessés sur les routes (730 tués et 4.200 blessés graves par an), accaparement de l’espace public, amplification du « mitage » du territoire, production de déchets toxiques, … en raison des nombreuses incidences négatives des transports l’OCDE les considérait déjà non durables en 1996 – et précisait qu’ils s’écartaient de plus en plus de la durabilité, sous l’effet de dynamiques négatives.

L’une de ces dynamiques – déjà dénoncée en 1991 par la conférence européenne des Ministres des Transports (CEMT) est l’augmentation du poids (ou de la masse), de la puissance et de la vitesse de pointe des voitures. Ajoutons l’augmentation, depuis une quinzaine d’années, du nombre de véhicules dont la face avant, inspirée de celle des « 4X4 », est de plus en plus agressive, et le tableau sera complet. Comme l’ont montré plusieurs études (http://journals.openedition.org/cybergeo/18862), les constructeurs automobiles promeuvent, via leurs omniprésentes publicités, les véhicules les plus représentatifs de cette évolution…

Leurs publicitaires font appel à toutes les disciplines artistiques, à la psychologie et la sociologie ainsi qu’aux neuro-sciences pour accroître la force de leur persuasion. Ils n’hésitent pas à surfer sur sexisme, ethnocentrisme, culte de l’apparence, compétition, pulsions primaires et agressives etc. pour nous faire croire qu’acheter une voiture est synonyme de bonheur intense. En témoigne cette affirmation des organisateurs du salon de l’auto pour lesquels celui-ci constitue « un immense événement populaire où tous, petits comme grands, trouveront à coup sûr de quoi combler leur bonheur » [2].

C’est parce qu’ils en ont les moyens que les constructeurs peuvent s’offrir des campagnes publicitaires et événements promotionnels de très grande ampleur. Les promoteurs de mobilité durable ne disposent pas de ressources équivalentes et ce n’est donc pas le meilleur, mais le plus riche qui gagne. Le plus riche qui, en l’occurrence, veille à construire de toute pièce et à entretenir soigneusement une culture dans les rets de laquelle l’ensemble de la société est enfermée. Comble du cynisme : les constructeurs automobiles pointent la responsabilité des consommateurs, accusés de réclamer des véhicules toujours plus éloignés des besoins réels de mobilité et limitent leur propre rôle à celui de fournisseurs de produits manufacturés de qualité attentifs à satisfaire leur clientèle.

« C’est choquant, mais chaque jour, aux E-U, 90 personnes dont 7 enfants sont tuées par balle sans que personne n’en parle (…) C’est comme avec la circulation, je crois. Si un enfant se fait renverser par une voiture et meurt, personne ne va dire qu’il faut éradiquer le trafic routier. Que le problème c’est la circulation. Cette dernière est indissociable de la vie en Occident. Aux E-U c’est pareil avec les armes ».
– Gary Younge, auteur de American Death Trip.

La voiture tue. C’est le slogan retenu par des activistes lors de leur action de sensibilisation tenue à la veille de l’ouverture au grand public du salon. Vu le bilan annuel du secteur en termes de décès (accidents de la route, pollution de l’air et bruit) et de blessés graves, cette mention devrait être obligatoire sur les publicités pour les voitures individuelles… à défaut d’interdire ces publicités, mesure que nous prônons depuis 10 ans maintenant. Et pour contrer les dérives d’un système automobile d’autant plus agressif qu’il prend conscience de son anachronisme, un cadre réglementaire strict devrait être mis en place et imposé aux constructeurs afin de limiter certaines caractéristiques des voitures : masse, puissance, vitesse de pointe, agressivité de la face avant.

Les partenaires du projet LISA Car (light and safe car : voiture légère et sûre) en ont esquissé les grandes lignes et travaillent à leur diffusion. (http://www.iew.be/La-voiture-de-demain-Le-dossier-qui-interpelle-l-ethique-des-constructeurs ou http://www.lisacar.eu). Le salon est pour eux l’occasion d’inviter les constructeurs à s’inscrire dans une évolution du secteur centrée sur la protection de l’intégrité physique des personnes, de la santé et de l’environnement. Leur survie en dépend…


[1] Propos tenus lors du colloque LISA Car qui s’est dérolé à Bruxelles le 10 novembre 2017 : www.lisacar.eu

[2] FEBIAC, 96e Brussels Motor Show – Le Salon universel, 5 décembre 2017